Salut,
Quelle semaine !
» Ădito «
Que dire ?
Comment Ă©viter dâajouter aux tiraillements, Ă la cacophonie ambiante ? âš
Difficile de savoir quoi vous apporter de concret.
Depuis les rĂ©sultats des europĂ©ennes et la dissolution de lâAssemblĂ©e Nationale, je rĂ©flĂ©chis principalement Ă deux choses.
La place des diffĂ©rents camps politiques dans les mondes numĂ©riques, dâabord.
Jâai depuis longtemps lâimpression que la gauche sous-estime trop les cultures numĂ©riques. Câest peut-ĂȘtre aussi le cas du centre-droit. La victoire de lâextrĂȘme-droite europĂ©enne pourrait sembler confirmer cette hypothĂšse.
Politiquement, trop peu ont prĂȘtĂ© attention Ă lâefficacitĂ© de la stratĂ©gie Bardella, transformĂ© en « facho sympa » par son conseiller de comâ. Trop peu ont prĂȘtĂ© crĂ©dit Ă sa maniĂšre de dire tout et surtout le contraire de ses actes au Parlement europĂ©en pour sĂ©duire les plus jeunes. Du cĂŽtĂ© des Ăcologistes, Marie Toussaint a elle-mĂȘme admis avoir sous-estimĂ© la force de TikTok.
Cela dit, rĂ©duire le rĂ©sultat des Ă©lections Ă la stratĂ©gie TikTok du prĂ©sident du Rassemblent National est rĂ©ducteur de multiples points de vue. AuprĂšs des 18-24 ans comme des 25-34 ans, câest lâabstention qui a largement primĂ© : dans ces tranches dâĂąge, deux personnes sur trois ne se sont pas rendues dans leurs bureaux de vote, dâaprĂšs Ipsos.
Du cĂŽtĂ© du tiers restant, un simple graphique vient limiter la tentative de corrĂ©lation entre usage de TikTok et vote dâextrĂȘme-droite. Dâun pays Ă lâautre, lâusage de la plateforme est le mĂȘme chez les 18-25 ans (câest simple : tout le monde est sur le rĂ©seau). Les rĂ©sultats de lâextrĂȘme-droite, eux, varient Ă©normĂ©ment.
Comme le soulignait Lucie Ronfaut dans sa derniĂšre Ă©dition de #RĂšgle30, il me semble que le succĂšs de lâextrĂȘme-droite auprĂšs dâune partie des jeunes* nâest pas tant dĂ» Ă la prĂ©sence de Jordan Bardella sur tel ou tel rĂ©seau quâĂ la facilitĂ© avec laquelle tout un terreau dâidĂ©es conservatrices circulent en ligne. Masculinisme, passion pour la musculation, promotion de lâidĂ©al « tradwives », toutes ces tendances qui Ă©mergent avec une rĂ©gularitĂ© de mĂ©tronome et qui circulent en ligne participent Ă rendre les idĂ©es conservatrices attrayantes aux yeux dâune partie des internautes.
Par ailleurs, si rĂŽle des entreprises du numĂ©rique il y a dans le rĂ©sultat de nos Ă©lections, il faut aussi le chercher du cĂŽtĂ© Ă©conomique, industriel, comme de lâinfluence politique. LâidĂ©ologie que poussent certains constructeurs gĂ©ants du numĂ©rique via la promotion de lâintelligence artificielle, par exemple, est fondamentalement problĂ©matique. Le rĂŽle de ces entreprises dans la destruction du droit du travail, y compris avec lâaide de l'actuel prĂ©sident, est un enjeu Ă part entiĂšre.
Lâimposition dâoutils numĂ©rique dans tous les pans de la sociĂ©tĂ©, sans aucune considĂ©ration pour les difficultĂ©s dâaccĂšs ou les dysfonctionnements des technologies dĂ©ployĂ©es participent aussi, chez les administrĂ©s comme chez celles et ceux qui voient leurs emplois modifiĂ©s, au sentiment de dĂ©classement sur lequel sâappuie lâextrĂȘme-droite.
Et puis, bien sĂ»r, il y a la question de la mĂ©diatisation de lâextrĂȘme-droite dans les mĂ©dias traditionnels, de sa normalisation par certains partis politiques et de lâeffet que cela a en ligne. Ă coups dâĂ©missions, dâinterviews et de publications croisĂ©es entre mĂ©dias du groupe BollorĂ© et amis, chacun de ces titres fournit du carburant Ă buzz extrĂ©miste Ă nos boucles algorithmiques.
Ceci mâamĂšne Ă lâautre sujet, Ă©clatant ces derniers temps, mĂȘme sâil Ă©tait visible bien avant le 9 juin : lâĂ©chec mĂ©diatique.
Quâest-il arrivĂ© Ă cette profession* pour que si peu des mĂ©dias traditionnels se donnent la peine de vĂ©rifier les propos et les actes des reprĂ©sentants politiques ? Pour laisser un Rassemblement national sâimposer en supposĂ© « parti des classes populaires » ? Les membres de ce parti ont pourtant une passion pour le vote contre ou lâabstention chaque fois quâest discutĂ©e une mesure sociale.
OĂč est passĂ©e lâĂ©thique journalistique pour que se rĂ©pande si loin la manĆuvre politicienne qui renvoie dos Ă dos une hypothĂ©tique extrĂȘme-gauche « insoumise » avec une extrĂȘme droite RN ? En 2021, jâavais cherchĂ© autant de donnĂ©es que possible sur la dĂ©finition des extrĂȘmes, sur leur degrĂ© de violence et sur leur place dans le dĂ©bat mĂ©diatique et public. Face aux bris de bĂątiments en manifestation de gauche, la menace dâattentats dâultradroite, contre des personnes, Ă©tait frappante. Depuis, elle continue dâaugmenter, en France comme en Europe.
Sur lâantisĂ©mitisme, la problĂ©matique est proche : sans nier les propos problĂ©matiques de certaines personnalitĂ©s politiques, dans quelle version de lâHistoire peut-on rendre Ă©quivalents un parti de gauche et celui, Ă lâextrĂȘme-droite, qui hĂ©rite directement du fascisme du XXe siĂšcle ? (VoilĂ encore un dĂ©bat qui se dĂ©roule sans consulter, ou si peu, les principaux concernĂ©s, relĂšve par ailleurs Blanche Sabbah.)
La normalisation des mots trompeurs est une maniĂšre de disqualifier toute une gauche dont le supposĂ© extrĂȘmisme nâa pas de sens au regard des sciences politiques. Ainsi dâ« écoterroriste » (le patron de la DGSI lui-mĂȘme admet quâ « aucune action » ne rĂ©pondant Ă la dĂ©finition de terrorisme « nâa Ă©tĂ© commise au nom de la cause environnementale ») ou de « wokisme », vide de sens, mais trĂšs efficaces pour couper court au dĂ©bat.
La violence contre autrui, on sait dans quel camp elle se trouve. Câest celle qui est allĂ©e commettre des agressions homophobes dĂšs dimanche soir, et qui s'est permise de clamer « vivement dans trois semaines, on pourra casser du PD autant quâon veut ». Câest celle qui a fomentĂ© un attentat Ă Bordeaux le mois dernier, câest celle qui violente et qui tue au point quâEuropol sonne lâalerte.
« Il y a une idĂ©e erronĂ©e, trĂšs commune Ă gauche, qui consiste Ă dire que câest lâinculture et la pauvretĂ© qui nourrissent le racisme, lit-on dans Frustration. Or, historiquement, câest bien la quĂȘte de richesse menĂ©e par des hommes puissants qui a Ă©tĂ© le premier moteur du suprĂ©macisme blanc et du colonialisme quâil a justifiĂ©. » Comme Blast ici, le magazine rappelle que lâextrĂȘme-droite nâest pas tant le choix des classes populaires que celui des Ă©lites capitalistes. Câest celui dâun BollorĂ©, Ă©videmment. Câest aussi le rĂ©sultat des calculs politiques dangereux dâun Emmanuel Macron et de sa garde rapprochĂ©e.
Bref.
Votez, et appelez Ă voter.
Une poignée de voix, ça peut faire la dif.
Et par pitié, politiques hypothétiques qui me lisez.
Permettez-nous de voter pour.
*Une majorité de 18-14 ans et une quasi-majorité (44 %) de 26-34 ans vote cela dit pour des partis de gauche.
*Je sais, je sais : concentration dans les mains dâune poignĂ©e de propriĂ©taires industriels ; dĂ©tournement des revenus publicitaires par les gĂ©ants du numĂ©rique (encore eux) ; prĂ©carisation croissante.
Une remarque, une info, une question ? Dites-le-moi en répondant à ce mail !
» Boßte à outils «
đ§âđ» LâInstitute for Strategic Dialogue a sorti un guide, en 2022, intitulĂ© « DĂ©sinformation en pĂ©riode Ă©lectorale : comment la sociĂ©tĂ© civile peut-elle rĂ©pondre ? ». Court et illustrĂ© dâexemples concrets, il sâadresse avant tout aux associations de lutte contre les extrĂ©mismes, la dĂ©sinformation, les discours de haine, et de promotion de la citoyennetĂ© numĂ©rique, mais il peut certainement servir au-delĂ . Pour le lire, câest par lĂ .
đ§âđ§ Et puis le collectif, lectrice, lecteur, câest important. Que ce soit pour dĂ©battre, sâorganiser, connaĂźtre ses droits, manifester... Jâai participĂ© ce mois-ci Ă deux rencontres de journalistes, une Ă Lille, lâautre Ă Malines, et croyez-moi, jâen ressors boostĂ©e. Vu lâambiance, je ne saurai que vous recommander de trouver vos propres associations, vos collectifs, vos groupes dâintĂ©rĂȘt, rassemblez-vous, mobilisons-nous, entraidons-nous !
Vous connaissez des outils cools qui mĂ©riteraient dâĂȘtre citĂ©s ? Ăcrivez-moi en rĂ©ponse Ă ce mail !
» Travail en cours «
Sur le rĂŽle des rĂ©seaux sociaux dans la formation de nos opinions politiques, jâai signĂ© en 2022 une interview du mathĂ©maticien David Chavalarias, qui sortait Ă lâĂ©poque lâouvrage Toxic Data. Beaucoup plus rĂ©cemment, jâai rĂ©alisĂ© ma deuxiĂšme chronique dans la super Ă©mission Twitch obs.ions.tech de Lam Hua, vous pouvez la revoir ici, et lâĂ©mission complĂšte lĂ .
Fin mai, jâai rencontrĂ© la prĂ©sidente de Signal Ă Vivatech. Je nâai pas eu Ă©normĂ©ment de temps pour lui poser mes questions, et pourtant lâentretien a Ă©tĂ© riche. Meredith Whittaker a une capacitĂ© Ă©vidente Ă rassembler et dĂ©tailler les enjeux sociopolitiques de la tech. Ăvidemment, ça rĂ©sonne avec lâactualitĂ©. Pour lire lâarticle, câest ici.
» Culture (confiture) «
Je cherchais une Ćuvre Ă vous recommander, pour prendre de lâair et de la distance, mais peut-ĂȘtre que le mieux, câest de quitter nos Ă©crans un instant.
Voici donc une photo de ma derniĂšre Ćuvre collaborative : un bar, sur mon balcon, oĂč je suis ravie de pouvoir boire des coups en profitant du soleil. CrĂ©ez vos propres guinguettes de poche, si vous en avez lâespace. Ou construisez ce petit meuble / objet / projet qui vous manque, mais dont vous savez quâil vous rendrait heureux ou heureuses.
Les avantages ? Un peu de dĂ©connexion, un intense sentiment de satisfaction (mĂȘme quand ça nâest pas parfaitement droit, cf plus haut), et pourquoi pas, si vous nây connaissez rien ou avez peur de vous lancer, un moment de partage et discussion. Les inconvĂ©nients ? Aucun de connu Ă ce jour.
Merci de mâavoir lue.
â Mathilde
Pour soutenir mon travail, vous pouvez (vous) offrir Technoféminisme, comment le numérique aggrave les inégalités (Grasset, 2023), me contacter pour des conférences ou des formations, ou faire connaßtre cette newsletter autour de vous.
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