Technoculture

Des réflexions sur la tech, des outils pratiques et de la culture (pas toujours) numérique, d'un point de vue féministe.

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Par Mathilde Saliou
25 juil. · 4 mn à lire
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đŸŸȘ Viens on s'entraide et on bricole

TikTok, l'extrĂȘme-droite, les devoirs des mĂ©dias et l'action collective.

Salut,

Quelle semaine !

» Édito «

Que dire ?
Comment Ă©viter d’ajouter aux tiraillements, Ă  la cacophonie ambiante ? ‹
Difficile de savoir quoi vous apporter de concret.

Depuis les rĂ©sultats des europĂ©ennes et la dissolution de l’AssemblĂ©e Nationale, je rĂ©flĂ©chis principalement Ă  deux choses.

La place des diffĂ©rents camps politiques dans les mondes numĂ©riques, d’abord.

J’ai depuis longtemps l’impression que la gauche sous-estime trop les cultures numĂ©riques. C’est peut-ĂȘtre aussi le cas du centre-droit. La victoire de l’extrĂȘme-droite europĂ©enne pourrait sembler confirmer cette hypothĂšse.

Politiquement, trop peu ont prĂȘtĂ© attention Ă  l’efficacitĂ© de la stratĂ©gie Bardella, transformĂ© en « facho sympa » par son conseiller de com’. Trop peu ont prĂȘtĂ© crĂ©dit Ă  sa maniĂšre de dire tout et surtout le contraire de ses actes au Parlement europĂ©en pour sĂ©duire les plus jeunes. Du cĂŽtĂ© des Écologistes, Marie Toussaint a elle-mĂȘme admis avoir sous-estimĂ© la force de TikTok.

Cela dit, rĂ©duire le rĂ©sultat des Ă©lections Ă  la stratĂ©gie TikTok du prĂ©sident du Rassemblent National est rĂ©ducteur de multiples points de vue. AuprĂšs des 18-24 ans comme des 25-34 ans, c’est l’abstention qui a largement primĂ© : dans ces tranches d’ñge, deux personnes sur trois ne se sont pas rendues dans leurs bureaux de vote, d’aprĂšs Ipsos.

Du cĂŽtĂ© du tiers restant, un simple graphique vient limiter la tentative de corrĂ©lation entre usage de TikTok et vote d’extrĂȘme-droite. D’un pays Ă  l’autre, l’usage de la plateforme est le mĂȘme chez les 18-25 ans (c’est simple : tout le monde est sur le rĂ©seau). Les rĂ©sultats de l’extrĂȘme-droite, eux, varient Ă©normĂ©ment.

Comme le soulignait Lucie Ronfaut dans sa derniĂšre Ă©dition de #RĂšgle30, il me semble que le succĂšs de l’extrĂȘme-droite auprĂšs d’une partie des jeunes* n’est pas tant dĂ» Ă  la prĂ©sence de Jordan Bardella sur tel ou tel rĂ©seau qu’à la facilitĂ© avec laquelle tout un terreau d’idĂ©es conservatrices circulent en ligne. Masculinisme, passion pour la musculation, promotion de l’idĂ©al « tradwives », toutes ces tendances qui Ă©mergent avec une rĂ©gularitĂ© de mĂ©tronome et qui circulent en ligne participent Ă  rendre les idĂ©es conservatrices attrayantes aux yeux d’une partie des internautes.

Par ailleurs, si rĂŽle des entreprises du numĂ©rique il y a dans le rĂ©sultat de nos Ă©lections, il faut aussi le chercher du cĂŽtĂ© Ă©conomique, industriel, comme de l’influence politique. L’idĂ©ologie que poussent certains constructeurs gĂ©ants du numĂ©rique via la promotion de l’intelligence artificielle, par exemple, est fondamentalement problĂ©matique. Le rĂŽle de ces entreprises dans la destruction du droit du travail, y compris avec l’aide de l'actuel prĂ©sident, est un enjeu Ă  part entiĂšre.

L’imposition d’outils numĂ©rique dans tous les pans de la sociĂ©tĂ©, sans aucune considĂ©ration pour les difficultĂ©s d’accĂšs ou les dysfonctionnements des technologies dĂ©ployĂ©es participent aussi, chez les administrĂ©s comme chez celles et ceux qui voient leurs emplois modifiĂ©s, au sentiment de dĂ©classement sur lequel s’appuie l’extrĂȘme-droite.

Et puis, bien sĂ»r, il y a la question de la mĂ©diatisation de l’extrĂȘme-droite dans les mĂ©dias traditionnels, de sa normalisation par certains partis politiques et de l’effet que cela a en ligne. À coups d’émissions, d’interviews et de publications croisĂ©es entre mĂ©dias du groupe BollorĂ© et amis, chacun de ces titres fournit du carburant Ă  buzz extrĂ©miste Ă  nos boucles algorithmiques.

Ceci m’amĂšne Ă  l’autre sujet, Ă©clatant ces derniers temps, mĂȘme s’il Ă©tait visible bien avant le 9 juin : l’échec mĂ©diatique.

Qu’est-il arrivĂ© Ă  cette profession* pour que si peu des mĂ©dias traditionnels se donnent la peine de vĂ©rifier les propos et les actes des reprĂ©sentants politiques ? Pour laisser un Rassemblement national s’imposer en supposĂ© « parti des classes populaires » ? Les membres de ce parti ont pourtant une passion pour le vote contre ou l’abstention chaque fois qu’est discutĂ©e une mesure sociale.

OĂč est passĂ©e l’éthique journalistique pour que se rĂ©pande si loin la manƓuvre politicienne qui renvoie dos Ă  dos une hypothĂ©tique extrĂȘme-gauche « insoumise » avec une extrĂȘme droite RN ? En 2021, j’avais cherchĂ© autant de donnĂ©es que possible sur la dĂ©finition des extrĂȘmes, sur leur degrĂ© de violence et sur leur place dans le dĂ©bat mĂ©diatique et public. Face aux bris de bĂątiments en manifestation de gauche, la menace d’attentats d’ultradroite, contre des personnes, Ă©tait frappante. Depuis, elle continue d’augmenter, en France comme en Europe.

Sur l’antisĂ©mitisme, la problĂ©matique est proche : sans nier les propos problĂ©matiques de certaines personnalitĂ©s politiques, dans quelle version de l’Histoire peut-on rendre Ă©quivalents un parti de gauche et celui, Ă  l’extrĂȘme-droite, qui hĂ©rite directement du fascisme du XXe siĂšcle ? (VoilĂ  encore un dĂ©bat qui se dĂ©roule sans consulter, ou si peu, les principaux concernĂ©s, relĂšve par ailleurs Blanche Sabbah.)

La normalisation des mots trompeurs est une maniĂšre de disqualifier toute une gauche dont le supposĂ© extrĂȘmisme n’a pas de sens au regard des sciences politiques. Ainsi d’« écoterroriste » (le patron de la DGSI lui-mĂȘme admet qu’ « aucune action » ne rĂ©pondant Ă  la dĂ©finition de terrorisme « n’a Ă©tĂ© commise au nom de la cause environnementale ») ou de « wokisme », vide de sens, mais trĂšs efficaces pour couper court au dĂ©bat.

La violence contre autrui, on sait dans quel camp elle se trouve. C’est celle qui est allĂ©e commettre des agressions homophobes dĂšs dimanche soir, et qui s'est permise de clamer « vivement dans trois semaines, on pourra casser du PD autant qu’on veut ». C’est celle qui a fomentĂ© un attentat Ă  Bordeaux le mois dernier, c’est celle qui violente et qui tue au point qu’Europol sonne l’alerte.

« Il y a une idĂ©e erronĂ©e, trĂšs commune Ă  gauche, qui consiste Ă  dire que c’est l’inculture et la pauvretĂ© qui nourrissent le racisme, lit-on dans Frustration. Or, historiquement, c’est bien la quĂȘte de richesse menĂ©e par des hommes puissants qui a Ă©tĂ© le premier moteur du suprĂ©macisme blanc et du colonialisme qu’il a justifiĂ©. » Comme Blast ici, le magazine rappelle que l’extrĂȘme-droite n’est pas tant le choix des classes populaires que celui des Ă©lites capitalistes. C’est celui d’un BollorĂ©, Ă©videmment. C’est aussi le rĂ©sultat des calculs politiques dangereux d’un Emmanuel Macron et de sa garde rapprochĂ©e.

Bref.

Votez, et appelez Ă  voter.

Une poignée de voix, ça peut faire la dif.

Et par pitié, politiques hypothétiques qui me lisez.

Permettez-nous de voter pour.

*Une majorité de 18-14 ans et une quasi-majorité (44 %) de 26-34 ans vote cela dit pour des partis de gauche.

*Je sais, je sais : concentration dans les mains d’une poignĂ©e de propriĂ©taires industriels ; dĂ©tournement des revenus publicitaires par les gĂ©ants du numĂ©rique (encore eux) ; prĂ©carisation croissante.

Une remarque, une info, une question ? Dites-le-moi en répondant à ce mail !

» Boßte à outils «

đŸ§‘â€đŸ’» L’Institute for Strategic Dialogue a sorti un guide, en 2022, intitulĂ© « DĂ©sinformation en pĂ©riode Ă©lectorale : comment la sociĂ©tĂ© civile peut-elle rĂ©pondre ? ». Court et illustrĂ© d’exemples concrets, il s’adresse avant tout aux associations de lutte contre les extrĂ©mismes, la dĂ©sinformation, les discours de haine, et de promotion de la citoyennetĂ© numĂ©rique, mais il peut certainement servir au-delĂ . Pour le lire, c’est par lĂ .

🧑‍🔧 Et puis le collectif, lectrice, lecteur, c’est important. Que ce soit pour dĂ©battre, s’organiser, connaĂźtre ses droits, manifester... J’ai participĂ© ce mois-ci Ă  deux rencontres de journalistes, une Ă  Lille, l’autre Ă  Malines, et croyez-moi, j’en ressors boostĂ©e. Vu l’ambiance, je ne saurai que vous recommander de trouver vos propres associations, vos collectifs, vos groupes d’intĂ©rĂȘt, rassemblez-vous, mobilisons-nous, entraidons-nous !

Vous connaissez des outils cools qui mĂ©riteraient d’ĂȘtre citĂ©s ? Écrivez-moi en rĂ©ponse Ă  ce mail !

» Travail en cours «

Sur le rĂŽle des rĂ©seaux sociaux dans la formation de nos opinions politiques, j’ai signĂ© en 2022 une interview du mathĂ©maticien David Chavalarias, qui sortait Ă  l’époque l’ouvrage Toxic Data. Beaucoup plus rĂ©cemment, j’ai rĂ©alisĂ© ma deuxiĂšme chronique dans la super Ă©mission Twitch obs.ions.tech de Lam Hua, vous pouvez la revoir ici, et l’émission complĂšte lĂ .

Fin mai, j’ai rencontrĂ© la prĂ©sidente de Signal Ă  Vivatech. Je n’ai pas eu Ă©normĂ©ment de temps pour lui poser mes questions, et pourtant l’entretien a Ă©tĂ© riche. Meredith Whittaker a une capacitĂ© Ă©vidente Ă  rassembler et dĂ©tailler les enjeux sociopolitiques de la tech. Évidemment, ça rĂ©sonne avec l’actualitĂ©. Pour lire l’article, c’est ici.

» Culture (confiture) «

Je cherchais une Ɠuvre Ă  vous recommander, pour prendre de l’air et de la distance, mais peut-ĂȘtre que le mieux, c’est de quitter nos Ă©crans un instant.

Voici donc une photo de ma derniĂšre Ɠuvre collaborative : un bar, sur mon balcon, oĂč je suis ravie de pouvoir boire des coups en profitant du soleil. CrĂ©ez vos propres guinguettes de poche, si vous en avez l’espace. Ou construisez ce petit meuble / objet / projet qui vous manque, mais dont vous savez qu’il vous rendrait heureux ou heureuses.

Les avantages ? Un peu de dĂ©connexion, un intense sentiment de satisfaction (mĂȘme quand ça n’est pas parfaitement droit, cf plus haut), et pourquoi pas, si vous n’y connaissez rien ou avez peur de vous lancer, un moment de partage et discussion. Les inconvĂ©nients ? Aucun de connu Ă  ce jour.

Merci de m’avoir lue.

— Mathilde


Pour soutenir mon travail, vous pouvez (vous) offrir Technoféminisme, comment le numérique aggrave les inégalités (Grasset, 2023), me contacter pour des conférences ou des formations, ou faire connaßtre cette newsletter autour de vous.
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